Ville à la fois historique et moderne, à une heure de train de Shanghai, Hangzhou est devenue la capitale de l'e-commerce en Chine grâce à l’implantation sur place du leader du
secteur, Alibaba. Elle a été choisie par le gouvernement chinois afin d’accueillir le prochain sommet du G20, en septembre 2016, attirant l’attention internationale sur
cette ville présentée comme un « modèle de développement ».
La croissance de la capitale du Zhejiang repose notamment sur un projet de ville intelligente ambitieux. Application smartphone pour les habitants, mise en place d’un réseau
électrique intelligent, stratégie d’incitation des investissements étrangers, création de zones industrielles dédiées au numérique ... Hangzhou veut se démarquer par
l’innovation. Elle a d’ailleurs été la première ville à valider l’objectif du gouvernement chinois de « site d’expérimentation de la ville numérique ».
De quoi concentrer les attentes sur l’avenir de la "Genève de l’Orient", qui doit toutefois faire face à des défis majeurs : croissance démographique continue (atteignant
aujourd'hui 9 millions d'habitants), transports saturés (7 nouvelles lignes de métro sont en construction, qui se rajouteront aux 3 existantes), pollution de l'air et de l'eau ... La municipalité
a d'ailleurs lancé une série de grands travaux et de modernisation de la ville en prévision des Jeux Asiatiques de 2022, qui se tiendront à Hangzhou.
Dans le cadre des stages de recherche proposés par l’ONG française Urbanistes du Monde en 2016 sur le thème des « villes intelligentes », le projet d’étude portant sur la ville de Hangzhou
(Chine) est porté par Jérémy Leugé (Sciences Po, Ecole Urbaine) et Liubing Xie (Beijing Foreign Studies University).
Photo : Hangzhou et son lac, crédits : Jérémy Leugé, Liubing Xie
Dans son objectif de développer « l‘administration urbaine intelligente », l’Urban Management Committee de Hangzhou a développé une série d’applications pour smartphone, notamment concernant « l’administration de proximité ». Son objectif principal réside dans la création d'une plateforme sur laquelle les habitants peuvent signaler les dysfonctionnements de la ville, tout en développant « l’humanisation du renforcement législatif ». Or ces applications doivent trouver leur place sur un marché déjà occupé par les logiciels privés, notamment ceux développés par Alibaba, toujours en relation avec la municipalité.
L’Urban Management Committee de Hangzhou a déployé le 3 avril 2014 l’application « 贴心城管 », « Administration de proximité ». Elle vise à concentrer et à simplifier l’accès aux services municipaux, mais également à développer de nouveaux services pour les citoyens. En parallèle, trois applications « Santé », « Transports » et « Tourisme » viennent compléter l’offre municipale.
Le développement technique de l’application est assuré par City Cloud, joint-venture spécifique à Hangzhou entre l’américain Cisco et Insigma, entreprise chinoise locale étroitement liée à l’université du Zhejiang de Hangzhou. La technologie américaine se retrouve ici appropriée et contrôlée indirectement par le gouvernement local (cf. article dédié à l’organisation gouvernement-entreprises à Hangzhou – publié prochainement). La municipalité de Hangzhou est à l’origine de l’appel à projets concernant cette application ; elle en a défini les ambitions et s’occupe de sa gestion ainsi que de la collecte des informations produites. L’application est disponible sur iOS et Android (à travers les différents « stores » des constructeurs chinois).
La principale fonction de l’application réside dans sa page de report des dysfonctionnements de la ville. Les problèmes de voiries, de distribution d’eau et d’équipements publics (poubelles, toilettes…) sont les premiers visés. Mais les autorités invitent également à utiliser l’application pour signaler tout manque à l’ordre public : chantiers non-déclarés, animaux de compagnie non-badgés, vente à la sauvette, publicité sauvage…
Le report doit être accompagné d’une photo ou d’une vidéo et bénéficie d’une géolocalisation automatique. Une fois signalé, l’utilisateur accède à un suivi de sa demande et de son potentiel traitement par les autorités. De mars à septembre 2016, en amont de l’organisation du G20, les autorités ont lancé une campagne de promotion concernant cette fonctionnalité, souhaitant améliorer le cadre de la ville en promettant une réponse rapide aux citoyens.
Il s’agit en réalité d’une expansion et d’une internalisation d’une fonction qui existait au préalable dans la ville. Avant 2014, la municipalité chargeait une entreprise privée de relever les dysfonctionnements urbains et d’animer une hotline téléphonique afin de recueillir les retours des habitants. Avec l’application, la municipalité reprend le contrôle en traitant directement les complaintes, qui peuvent toujours être adressées par téléphone, mais aussi par les réseaux sociaux (Weibo). En mai 2016, le gouvernement annonce avoir collecté 16 000 retours des habitants depuis le lancement de l’application, chiffre convenable mais à relativiser vu la superficie et la population de la ville.
En plus de fournir au gouvernement une rapide connaissance des problèmes liés à son territoire, l’application lui permet un traitement statistique de type big data afin de mieux comprendre l’origine des anomalies urbaines. Les résultats communiqués annoncent ainsi que 34% des dégradations des trottoirs et 46,1% des dommages causés aux buttes séparatrices de chaussées sont causées par des violations aux règles de parking.
.
L’accès aux facilités du quotidien représente la seconde priorité de l’application « administration de proximité », à travers une cartographie des services s’appuyant sur les fonds de carte de l’entreprise Gaode (高德) rachetée par Alibaba deux mois avant le lancement de l’application. On y trouve la localisation des administrations publiques (police, tribunaux, services de la mairie), des Vélos en Libre-Service, des toilettes publiques et des lieux de réparation (ateliers vélos, cordonniers, électroménager).
Le stationnement reste l’autre axe majeur de l’application, avec la géolocalisation des parkings privés et publics selon quatre couleurs indiquant le nombre de places encore disponible. Les frais de stationnement peuvent être réglés directement dans l’application, tout comme les amendes en cas de contraventions. Enfin, dans une situation de stationnement gênant, les utilisateurs peuvent indiquer la plaque d’immatriculation du véhicule indélicat ; si son propriétaire est enregistré dans l’application, il recevra une notification l’invitant à déplacer sa voiture.
En parallèle, l’application sert de relais d’informations pour la municipalité, en proposant un fil d’actualité général sur la ville (évènements…), des alertes météorologiques et des informations concernant les travaux et les coupures temporaires d’eau et d’électricité. L’information reste toutefois générale à la ville, sans utilisation de la géolocalisation. Les citoyens peuvent également suivre l’état d’avancement de leurs procédures administratives (demande de certificats, réclamations…). Plus récemment, l’accès aux relevés mensuels concernant la qualité de l’eau dans les rivières, canaux et lacs de la ville a été rajouté.
Enfin, la promotion de l’application auprès des citoyens a également été étudiée, à travers un système de points récompensant chaque utilisation de l’application (report de dysfonctionnements urbains, paiement du parking…), pouvant être échangés contre des cadeaux. En parallèle, un système de « quizz » quotidien a été intégré à l’application, invitant les utilisateurs à découvrir les fonctionnalités de l’application à travers de petites questions.
Malgré cela, l’utilisation de l’application reste à étendre. Le gouvernement revendique 32 000 utilisateurs enregistrés (ayant enregistré leur numéro de téléphone), une goutte d’eau parmi les 9 millions d’habitants de la ville. Il est d’ailleurs rare de rencontrer quiconque à Hangzhou utilisant régulièrement l’application, qui reste à l’ombre de l’offre proposée par le privé et portée par de lourdes compagnes de communication.
Cet échec peut en partie s’expliquer par le grand manque de l’application : une réelle opportunité de participation citoyenne. Si les habitants peuvent y trouver des services publics, leur engagement dans l’application reste faible (l’option de signalement de problèmes urbains étant conçue comme un outil pour l’action municipale, et non pas comme un service d'expression pour les habitants). En comparaison, l’application développée à Séoul (Corée du Sud) propose une plateforme citoyenne avec vote consultatif par mobile et transparence des données publiques.
L’application « Administration de proximité » s’inscrit dans une offre applicative riche et complexe, aussi bien de la part du gouvernement que des acteurs privés.
Les différents services de la municipalité de Hangzhou proposent d’autres applications pour smartphone. La plus complète étant celle liée à la santé et à l’accès aux soins (cf. article dédié à la santé connectée à Hangzhou – publié prochainement). L’application publique de transport permet le calcul d’itinéraire et la localisation de services, restaurants et divers lieux alentours. Une application de « smart tourism » propose la description des sites à visiter dans la ville et des services liés (restauration, transports, accès aux urgences, toilettes) ; elle intègre également une plateforme de réservation de billets d’avions et de trains via l’insertion de l’application privée Ctrip au sein de l’interface.
A l’inverse, les applications privées viennent également intégrer les services publics, dans une offre bien plus populaire et interconnectée. Le groupe de e-commerce Alibaba, basé à Hangzhou, a intégré les services de la municipalité dans son application de services AliPay. Initialement orientée vers le paiement mobile (et permettant aujourd’hui de régler dans la quasi-totalité des commerces de la ville), l’application assure désormais l’accès vers des fonctionnalités de l’application « Administration de proximité » : paiement des frais de parking, suivi des procédures administratives, accès aux résultats médicaux… AliPay étant disponible partout en Chine, les services varient selon l’engagement de chaque municipalité à ouvrir ses données : Hangzhou se démarque par son niveau de coopération avec l’entreprise.
Par ailleurs l’application donne accès à des services privés (paiement en ligne, réservation de titres de transports…) et bénéficie de moyens de communications considérables, la rendant plus attractive pour les utilisateurs, et faisant de l'ombre à l'application municipale.
Article de Jérémy Leugé et Liubing Xie
Retrouvez tous les articles publiés sur Hangzhou et son programme de smart city.
.
Les 4 et 5 septembre 2016, Hangzhou accueillera les dirigeants des 19 pays les plus puissants du monde et de l'Union Européenne. Une première pour la Chine, qui gère l’organisation d’une main de fer. « En une année, ce sont dix ans d’investissements qui ont été réalisés dans la ville », commente Han Haoyin, professeur d’urbanisme que nous avons rencontré à l’Université du Zhejiang.
Pour l’occasion, toute la ville a été décorée aux couleurs du G20 : arrêts de bus, abris pour les deux roues, sièges dans les transports publics, vélos en libre-service et écrans géants sont couverts de publicités célébrant l’évènement et les 24 « valeurs du communisme » : liberté, démocratie, harmonie … (sic.) Plusieurs spectacles « sons et lumières » viennent d’être mis en place sur le lac, sur la place Wulin et dans le CBD, mélangeant musique classique européenne et airs militaires chinois. Les personnes âgées de la ville ont reçu des instructions censées leur apprendre un anglais basique afin d’accueillir au mieux les touristes. Le gouvernement veut présenter une ville propre, dynamique, ancrée dans un héritage culturel important tout en étant tournée vers la modernité et les nouvelles technologies.
Les chantiers des bâtiments et des nouvelles lignes de métro sont poussés à des cadences effrénées avant d’être totalement interrompus durant le sommet, comme l'ensemble des usines et des centrales à charbon de la région (Shanghai inclus), garantissant un ciel bleu pour les puissants de ce monde. De grandes palissades présentant la ville sous son plus beau jour sont installées afin de masquer les travaux. Les lieux les plus touristiques de la ville ont bénéficié d'une large rénovation. Plus largement, la ville a connu une accélération exponentielle de sa croissance déjà considérable avec le percement de 7 nouvelles lignes de métro, la construction de nouvelles tours et l’amélioration des infrastructures existantes, avec pour horizon l’organisation des Jeux Asiatiques de 2022.
Début septembre, les administrations resteront portes closes, les universités repousseront leur rentrée et l’ensemble des employés seront invités à voyager grâce à une semaine de congés offerte. L’objectif : vider la ville de ses habitants et limiter ainsi la congestion et la pollution, tout en facilitant les contrôles policiers. Les coûts de ces préparatifs s’élèveraient à près de 22 milliards d'euros (160 milliards de yuans), l'équivalent de 70% des revenus de la ville en 2015, selon un officiel chinois depuis arrêté pour avoir critiqué l'organisation du sommet.
Les autorités ont d’ailleurs renforcé leur surveillance des étrangers résidant dans la ville, interdit les locations Airbnb (qui ne permettent pas de fichage généralisé des touristes comme les hôtels) et encadré les chauffeurs de VTC. Enfin les rassemblements, notamment religieux, sont sévèrement encadrés voire interdits. Le gouvernement chinois veut offrir au monde une vitrine sans tâche d’une ville présentée comme un modèle de développement, quitte à dépenser des moyens démesurés dans la propagande et pour l'apparence de la ville.
Brève de Jérémy Leugé et Liubing Xie
Retrouvez tous les articles publiés sur Hangzhou et son programme de smart city.